Des milliers de moines bouddhistes défient la junte birmane

Les plus amples manifestations enregistrées en Birmanie contre le régime militaire, depuis le soulèvement écrasé de 1988, se sont produites à Rangoun et dans plusieurs villes du pays, samedi 22 et dimanche 23 septembre. Lundi 24 septembre, quelque 30 000 personnes, dont au moins 15 000 moines, ont encore manifesté, selon des témoins cités par l'AFP.

Birmanie. Cette ancienne colonie britannique, indépendante en 1948, est dirigée par des militaires depuis le coup d'Etat, en 1962, du général Ne Win.

Répression. En 1988, un soulèvement populaire contre la cherté de la vie est violemment maté par les militaires.

Elections. Le scrutin parlementaire de 1990 est remporté par la Ligue nationale pour la démocratie (LND) d'Aung San Suu Kyi, mais ignoré par la junte.

Junte. Le chef du régime est le général Than Shwe, 74 ans, assisté de Maung Aye, militaire d'une xénophobie légendaire, et du général Soe Win, 58 ans, premier ministre artisan de la purge d'éléments modérés de l'armée en 2003.
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Ces manifestations ont fait suite à une semaine de protestations de la part de moines bouddhistes qui ont repris le flambeau de la contestation populaire, à l'encontre de la junte, ravivée depuis la mi-août à la suite de mesures économiques impopulaires.

Entre samedi et dimanche, le nombre de participants aux cortèges qui ont parcouru la plus grande cité du pays a plus que doublé. Selon les témoins, quelque 10 000 bonzes en robe ocre ou safran ont défilé, souvent pieds nus, à partir de la pagode Shwedagon, le haut lieu le plus sacré de Rangoun, arborant drapeaux religieux et effigies de Bouddha.

Ils ont rejoint des religieux rassemblés à la pagode Sule, autre haut lieu spirituel, et ont été accompagnés par une foule équivalente de laïcs formant une chaîne de protection autour des cortèges. Des nonnes, crânes rasés, en robe rose, et des novices participaient au rassemblement qui s'est rendu à proximité du siège de la municipalité avant de se scinder en mouvements épars.

La manifestation de dimanche, sans équivalent en dix-neuf ans, semble avoir été encouragée par une "victoire" obtenue la veille par un groupe de 200 moines. En fin de journée, sous la pression du cortège des moines, la police avait levé le barrage permanent bloquant l'accès de l'avenue de l'Université, devant la maison où la figure emblématique de l'opposition, Aung San Suu Kyi, prix Nobel de la paix en 1991, est assignée à résidence.

La dissidente, selon les témoins, est alors sortie de la vaste villa et a salué les bonzes, les larmes aux yeux. C'était sa première apparition publique depuis 2003. Les manifestants ont tenté de réitérer leur démarche dimanche, sans succès devant la fermeté du dispositif de sécurité.

Alors que les défilés se contentaient jusqu'alors de protester contre la vie chère –symbolisée par une hausse spectaculaire des carburants, décrétée le 15 août et qui a entraîné une hyper-inflation généralisée–, ceux du week-end ont pris une tournure plus politique.

"C'EST NOTRE CAUSE"

Les mots de "réconciliation nationale", "dialogue avec les militaires" qui gouvernent sans partage, et de "libération des prisonniers politiques", dont Mme Suu Kyi, ont été proférés par mégaphone. "C'est notre cause", a scandé la foule.

Des moines ont exhorté la population à se joindre aux cortèges, entrepris "au nom du peuple". De nombreux opposants en exil et étrangers familiers de la politique birmane estimaient que la crise a peut-être atteint un point de non-retour, tant ces scènes contrastaient avec la lourdeur du climat des derniers mois, dominés par la peur de la population devant la répression.

Le rôle crucial des religieux dans la relation entre le régime militaire – ininterrompu depuis quarante-cinq ans – et la société civile tient à la place du "clergé" bouddhiste dans ce pays très pieux qu'est la Birmanie. Loin de constituer des confréries recluses ou retirées, les communautés spirituelles sont en contact avec la population dont elles sentent le pouls quotidiennement lors des tournées qu'effectuent les novices des temples à travers les villages, à l'aube, pour recueillir les offrandes de la population.

En outre, les monastères bénéficient d'un flux constant de jeunes recrues provisoires, accueillies en leur sein pour une retraite spirituelle .

Cette "imbrication" de la religion et de la société n'avait pas dissuadé les militaires, lors de la révolte pacifique de 1988, d'utiliser la force contre les manifestants et tout particulièrement contre les communautés monastiques de la grande ville spirituelle de Mandalay (centre nord), avec un bilan alors estimé à 3 000 morts.

L'époque est toutefois différente. Les voisins de la Birmanie ont ajouté, dimanche, leurs voix diplomatique mesurées aux propos de la secrétaire d'Etat américaine, Condoleezza Rice, contre le "régime brutal" de Rangoun.

Le plus ferme soutien extérieur de la junte, le gouvernement de Pékin, a exprimé, ces dernières semaines, le souhait que celle-ci "règle la situation intérieure pacifiquement". Dans l'ordre de la non-ingérence affichée par la Chine populaire dans les affaires de pays tiers, c'est là un conseil énergique.